L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE À L'ÉPREUVE DU DROIT

A l'heure où le monde entier est secoué par un engouement sans mesure pour les intelligences artificielles, en bons praticiens du droit, nous nous sommes exercés à lister les défis que cette nouvelle technologie pose pour le droit.

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L’intelligence artificielle (IA), entendue à la fois comme une branche de l’informatique qui vise à réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine et comme terme désignant ces machines, soulève de nombreuses questions d’ordre social, économique, politique mais aussi et surtout, d’ordre juridique. C’est que, l’IA, encore à ses balbutiements, montre un degré d’invasion sociale si élevé qu’elle n’épargne presque plus aucun secteur. Elle s’immisce ainsi dans des domaines aussi variés que la reconnaissance faciale, la traduction automatique, le traitement du langage naturel, la robotique, la programmation informatique ou encore la justice prédictive. L'IA offre certainement en retour des opportunités considérables pour améliorer la performance, l'efficacité et la qualité des services auxquels elle touche, mais elle pose aussi des défis majeurs pour le droit, qui doit encadrer son développement et ses applications, tout en s'adaptant à ses impacts sur les métiers, les pratiques et les principes juridiques.

Habituellement, la posture des législateurs en matière de technologies de l’information et de la communication consiste à laisser la pratique prendre les devants avant de réguler en consacrant formellement les règles d’autorégulation adoptées par les internautes, ou en sanctionnant ces règles a posteori. Toutefois, les législateurs pourront-ils se permettre une telle réserve et laisser l’intelligence artificielle suivre librement le cours de son développement ?

Déjà, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler l’intervention des législateurs. Elles appellent pour certaines à la mise en place immédiate des règles d’encadrement de l’IA, et pour d’autres, plus extrêmes, à la suspension immédiate de tous les projets de développement de l’IA, en attendant la mise en place de règles de contrôle strictes et impératives. Une chose est certaine, l’urgence de l’encadrement est pressentie par de nombreux acteurs, car elle relève de nombreux enjeux (I), pose des défis essentiels (II) et les perspectives de développement de l’IA ne peuvent laisser personne indifférent (III).

I- L'IA à l'épreuve du droit : quels enjeux ?

L'IA soulève des enjeux juridiques multiples et complexes. Ces enjeux touchent à des domaines aussi divers que le droit de la propriété intellectuelle, le droit de la protection des données personnelles, le droit de la responsabilité civile, le droit pénal, le droit du travail que le droit constitutionnel. Les droits et libertés fondamentales sont dans certains cas vivement concernés par le développement de l’IA.

Parmi ces enjeux que soulèvent l’intelligence artificielle, on peut citer à titre illustratif les points névralgiques ci-après :

La protection du droit d'auteur et des brevets sur les œuvres et les inventions créées par l'IA ou avec son aide : Qui est le titulaire des droits des œuvres produites par les IA (textes, images, vidéos, sons, logiciels, …) ? Comment apprécier l'originalité ou la nouveauté d’une œuvre générée par l’IA sachant que les modèles d’entraînement des IA influent énormément sur leur processus de création ? Quelles sont les limites et les exceptions applicables en la matière ?

Le respect du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles face aux traitements massifs et automatisés de données réalisés par l'IA : Comment assurer le consentement des personnes concernées ? Comment garantir la transparence, la loyauté et la sécurité des traitements ? Comment exercer les droits d'accès, de rectification, d'opposition ou de portabilité des personnes dont les données personnelles sont traitées automatiquement par l’IA ?

La détermination de la responsabilité civile en cas de dommages causés par l'IA ou par son utilisation : Qui est responsable ? Le concepteur, le producteur, le fournisseur, l'utilisateur ou l'IA elle-même ? Quel régime de responsabilité appliquer ? Quelles sont les conditions de mise en œuvre et les modalités de réparation ?

La prévention et la répression des infractions pénales commises par l'IA ou avec son concours : Comment qualifier de tels actes illicites ? Comment identifier les auteurs et les complices ? Comment apprécier l'intention coupable ou la faute d’une Intelligence Artificielle ? Surtout, quelles sont les sanctions applicables sachant qu’en matière répressive, l’interprétation de la loi est stricte ?

La protection des droits sociaux et du statut des travailleurs face à l'automatisation et à la substitution des tâches par l'IA : Comment préserver l'emploi, la rémunération, la formation, la santé et la sécurité des travailleurs ? Comment assurer le dialogue social et la représentation collective ? Comment garantir le respect de la dignité, de la liberté et de la non-discrimination ?

Le contrôle du respect des droits fondamentaux et des principes démocratiques par l'IA ou dans son utilisation : Comment assurer le respect de la dignité humaine, de l'autonomie, du consentement éclairé et du libre arbitre ? Comment prévenir les biais, les discriminations ou les atteintes à l'égalité qui peuvent résulter des algorithmes à la base de tous les processus de l’IA ? Comment garantir le pluralisme, la transparence et le contrôle démocratique sachant qu’il faut une maîtrise élevée de l’algorithmique pour ne serait-ce que détecter les biais de l’IA ?

Ce sont là quelques-uns des principaux enjeux auxquels nos sociétés contemporaines devront se confronter, car qu’elles le veulent ou non, le développement de l’IA n’est pas près de s’arrêter. Le 21ème siècle sera le terreau fertile de l’automatisation des tâches. De nombreuses professions seront touchées. Et il est plus que jamais urgent pour le droit de prendre les devants et d’aiguillonner cette ruée des IA vers le sens qui convienne le mieux.

II- L'IA à l'épreuve du droit : quels défis ?

L'IA met à l'épreuve le droit, qui doit relever plusieurs défis pour accompagner son développement et ses applications.

Parmi ces défis, on peut citer :

Le défi de l'adaptation : le droit doit évoluer pour prendre en compte les spécificités et les impacts de l'IA, sans pour autant remettre en cause ses fondements et ses valeurs. Il s’agit ici, comme à l’accoutumée et en matière de régulation, de trouver un équilibre entre innovation et régulation, entre liberté et sécurité, entre protection et promotion ;

Le défi de l'harmonisation : le droit doit assurer une cohérence entre les différents niveaux normatifs (national, communautaire et international). Le champ d’action de l’IA étant intrinsèquement lié au cyberespace, l’encadrement de l’IA devra suivre le modèle de la gouvernance de l’Internet, en mettant en place des couches successives de règlementation à différents niveaux spatiaux et techniques ;

Le défi de la coopération : la régulation de l’IA ne pourra pas non plus se faire sans la collaboration entre les différents acteurs impliqués dans le développement et l'utilisation de l'IA, tels que les chercheurs, les développeurs, les fournisseurs, les utilisateurs, les régulateurs, les juges et même les citoyens. Il faudra ainsi encourager le partage des connaissances, des bonnes pratiques et en appeler aux responsabilités des uns et des autres ;

Le défi de l'anticipation : le législateur doit également apprendre à se projeter dans l'avenir et anticiper les évolutions possibles ou souhaitables de l'IA, ainsi que leurs conséquences juridiques. Il doit se doter de moyens d'observation, d'évaluation et de prospective pour accompagner le progrès scientifique et technologique.

L’encadrement de l’intelligence artificielle est clairement une affaire qui nous concerne tous. Cette révolution technologique ne peut être laissée aux seules mains des firmes technologiques. Les préoccupations des classes sociales qui seront les plus affectées devront être prises en compte et la mise en place d’un droit de l’intelligence artificielle, inclusif et cohésif, à la fois protecteur du citoyen lambda et promoteur de l’IA, est une nécessité urgente et indéniable pour notre avenir à tous.

III- L'IA à l'épreuve du droit : quelles perspectives ?

L'IA offre des perspectives prometteuses pour nos sociétés, nonobstant les inquiétudes légitimes qu’elle soulève pour divers secteurs d’activité. Ainsi, le secteur juridique lui-même, confronté au développement des IA assistants à la rédaction des actes juridiques, ne devrait pas se replier sur lui-même et renier l’inévitable assise des IA dans le secteur. Au contraire, les praticiens du droit devront apprendre à tirer parti des potentialités de l’IA pour améliorer leurs propres méthodes et outils de travail.

Parmi ces perspectives, les praticiens du droit devront se préparer à :

La perspective de l'optimisation : l'IA peut aider le droit à optimiser ses processus et ses résultats, en augmentant la rapidité, la précision, la fiabilité et la qualité des services juridiques. Elle peut permettre de réduire les coûts, les délais, les erreurs et les litiges. Il ne s’agit pas pour les juristes d’abandonner tout le raisonnement juridique à l’IA. Ils doivent simplement se rassurer que les suggestions de l’IA sont bien conformes au droit positif et se garder de tomber dans le piège des biais algorithmiques (toutes choses qui nécessiteront certainement la formation et le recyclage des juristes à l’utilisation des IA). Les gains en temps ainsi réalisés devront aussi être mis à profit pour l’amélioration de leur cadre de travail et par ricochet, le perfectionnement progressif de tout l’appareil judiciaire ;

La perspective de la personnalisation : l'IA peut également aider les juristes à personnaliser leurs solutions et leurs réponses, en tenant compte des besoins, des attentes et des préférences des personnes concernées. Elle peut permettre de renforcer la satisfaction, la confiance et la fidélisation des clients ou des usagers. Là également, sous réserve que les mesures idoines à éliminer les biais de l’IA sont prises et implémentées rigoureusement ;

La perspective de la créativité : l'IA peut enfin aider les juristes à stimuler leur créativité et leur innovation, en proposant de nouvelles idées, de nouvelles approches ou de nouvelles combinaisons. Elle peut permettre de renouveler les pratiques, les modèles et les normes juridiques. Car avec le temps, la fonctionnalité innovatrice de l’IA prendra de l’ampleur et constituera son trait le plus marquant et le plus attrayant.

IV- L'IA à l'épreuve du droit : quelles conclusions ?

L'IA est un phénomène incontournable qui bouleverse le droit et qui appelle une réflexion approfondie sur ses enjeux, ses défis et ses perspectives. Le droit doit être à la fois acteur et régulateur de l'IA, en accompagnant son développement et ses applications, tout en veillant au respect des droits et des principes fondamentaux. Le droit doit aussi être bénéficiaire et utilisateur de l'IA, en tirant parti de ses potentialités pour améliorer ses propres méthodes et outils. Le droit doit enfin être critique et vigilant face à l'IA, en questionnant ses limites, ses risques et ses impacts sur la société. L'IA est à la fois une opportunité et un défi pour le droit, qui doit trouver sa place dans un monde où l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle doivent coexister et coopérer.


Références :

֍ Intelligence artificielle | Vers un droit assisté par les algorithmes. https://bing.com/search?q=l%27intelligence+artificielle+%c3%a0+l%27%c3%a9preuve+du+droit.

֍ L’intelligence artificielle et le droit | Cairn.info. https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2017-2-page-23.htm

֍ .

֍ Droit et intelligence artificielle - Propriété intellectuelle | Dalloz .... https://www.dalloz-actualite.fr/chronique/droit-et-intelligence-artificielle.

֍ L’intelligence artificielle - Portail Universitaire du droit. https://univ-droit.fr/actualites-de-la-recherche/manifestations/36951-l-intelligence-artificielle-quelle-intelligence-juridique.

֍ Intelligence artificielle : opportunités et risques | Parlement Européen. Intelligence artificielle : opportunités et risques | Actualité | Parlement européen (europa.eu).

֍ Les 20 menaces les plus dangereuses de l’intelligence artificielle | Futura Sciences. Les 20 menaces les plus dangereuses de l’intelligence artificielle (futura-sciences.com).

֍ Opinion | Peut-on contrôler l'IA ? | Les Échos. Opinion | Peut-on contrôler l'IA ? | Les Echos.

֍ Elon Musk et des centaines d’experts réclament une « pause » dans le développement de l’intelligence artificielle | Le Monde. Elon Musk et des centaines d’experts réclament une « pause » dans le développement de l’intelligence artificielle (lemonde.fr).

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