LES CLAUSES DE FORCE MAJEURE ET LES CLAUSES DE HARDSHIP EN DROIT OHADA

Les contrats ne sont pas figés, loin de là. Il arrive, et même fréquemment, que l'équilibre du contrat chancelle à la suite de la survenance de faits imprévus, irrésistibles et extérieurs à la volonté des parties. C'est à ce moment qu'interviennent les clauses de force majeure et de hardship, qui ont pour seul objet d'assurer la survie de la relation contractuelle.

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Introduction

Le droit OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) est un système juridique qui vise à unifier et à moderniser le droit des affaires dans 17 pays africains. Il repose sur des actes uniformes régissant différentes matières du droit des affaires et qui sont directement applicables dans les États parties, sans qu'il soit nécessaire de les transposer dans le droit interne.

Parmi ces actes uniformes, il y a l’avant-projet de celui relatif au droit des contrats. Ce texte, qui n’a pas encore été adopté, contient des dispositions importantes sur les clauses de force majeure et les clauses de hardship, qui sont des mécanismes contractuels ayant pour objet de permettre aux contractants de faire face aux situations imprévisibles et exceptionnelles qui peuvent affecter l'exécution d'un contrat. En quoi consistent ces clauses si particulières ?

La force majeure est définie comme la survenance d’un événement extérieur, irrésistible et imprévisible qui rend impossible l'exécution d'une obligation contractuelle. Alors que le hardship (terme anglais pour désigner une difficulté) est une situation dans laquelle l'exécution d'une obligation contractuelle devient excessivement onéreuse pour une partie en raison d'un changement imprévisible des circonstances.

Ces deux notions sont souvent confondues ou assimilées, mais elles présentent des différences importantes, tant au niveau de leur définition que de leurs effets juridiques. Il convient donc de les distinguer et de les analyser à la lumière du droit OHADA.


Plan

Dans cet article, nous allons aborder les points suivants :

I - La définition et les conditions de la force majeure en droit OHADA

II- Les effets de la force majeure sur le contrat

III- La définition et les conditions du hardship en droit OHADA

IV - Les effets du hardship sur le contrat

V - La comparaison entre la force majeure et le hardship

VI - La rédaction et l'interprétation des clauses de force majeure et de hardship

I- La définition et les conditions de la force majeure en droit OHADA

La force majeure est définie à l'article 7.1.7 de l’avant-projet de l'acte uniforme relatif au droit des contrats comme suit :

« Il y a force majeure lorsque l'inexécution du contrat résulte d'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »

Cette définition reprend les trois critères classiques de la force majeure : l'extériorité, l'irrésistibilité et l'imprévisibilité ;

§ L'extériorité signifie que l'événement doit être indépendant de la volonté du débiteur, c'est-à-dire qu'il ne doit pas résulter de son fait ou de celui d'un tiers dont il est responsable. Par exemple, une grève du personnel du débiteur ou une faute commise par son sous-traitant ne constituent pas des cas de force majeure ;

§ L'irrésistibilité signifie que l'événement doit rendre impossible l'exécution de l'obligation contractuelle, c'est-à-dire qu'il ne doit pas exister de moyens raisonnables pour y faire face ou pour en atténuer les conséquences. Par exemple, une pénurie de matières premières ou une hausse des prix ne constituent pas des cas de force majeure si le débiteur peut se procurer ces matières premières ailleurs ou renégocier le prix avec le créancier ;

§ L'imprévisibilité signifie que l'événement doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat, c'est-à-dire qu'il ne doit pas être connu ou prévisible par le débiteur selon les règles de la diligence normale. Par exemple, un conflit armé ou une catastrophe naturelle ne constituent pas des cas de force majeure si le débiteur était informé ou aurait dû l’être.

II- Les effets de la force majeure sur le contrat

S’agissant des effets de la force majeure sur l’obligation contractuelle, l'article 7.1.7 de l’avant-projet de l'acte uniforme relatif au droit des contrats prévoit que :

« L'inexécution d'une obligation contractuelle due à la force majeure a pour effet de suspendre l'exécution du contrat pendant la durée de la force majeure si celle-ci est temporaire. Si la force majeure est définitive ou si elle perdure au-delà d'un délai raisonnable, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 7.3.3 et suivants. »

Ainsi, la force majeure entraîne soit la suspension, soit la résolution du contrat, selon qu'elle est temporaire ou définitive.

La suspension signifie que les parties sont dispensées de leurs obligations pendant la durée de l'événement de force majeure, sans que le contrat soit rompu. Elles doivent reprendre l'exécution du contrat dès que l'événement cesse ou que ses effets disparaissent. Par exemple, si un transporteur ne peut pas livrer une marchandise en raison d'une inondation qui bloque les routes, il doit livrer la marchandise dès que les routes sont praticables.

La résolution signifie que le contrat est annulé rétroactivement et que les parties sont libérées de leurs obligations. Elles doivent restituer ce qu'elles ont reçu en exécution du contrat ou, si cela n'est pas possible, payer une indemnité équivalente. Par exemple, si un prestataire de services ne peut pas réaliser une prestation en raison d'une guerre qui éclate dans le pays où il doit intervenir, il doit rembourser le prix qu'il a reçu ou, si cela n'est pas possible, payer une indemnité équivalente.

La distinction entre la suspension et la résolution dépend de la durée de l'événement de force majeure et de son impact sur le contrat. Il n'existe pas de règle générale pour déterminer si un événement est temporaire ou définitif. Il faut apprécier au cas par cas, en tenant compte des circonstances et des intérêts des parties. Par exemple, un événement qui dure quelques jours peut être considéré comme temporaire si le contrat porte sur une obligation à long terme, mais comme définitif si le contrat porte sur une obligation à court terme.

L'article 7.1.7 de l’avant-projet de l'acte uniforme relatif au droit des contrats prévoit également que :

« Le débiteur qui invoque un événement constitutif de force majeure doit notifier sans délai au créancier son existence et sa fin. »

Cette notification a pour but d'informer le créancier de la situation et de lui permettre de prendre les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts. Elle doit être faite par tout moyen permettant d'en établir la date et le contenu. Elle doit préciser la nature, la cause et les conséquences prévisibles de l'événement de force majeure.

Si le débiteur ne notifie pas le créancier dans un délai raisonnable, il perd le bénéfice de la force majeure et reste tenu de ses obligations contractuelles. Il peut également être tenu responsable du préjudice causé par son retard à notifier.

III- La définition et les conditions du hardship en droit OHADA

Le hardship est défini à l'article 7.1.8 de l’avant-projet de l'acte uniforme relatif au droit des contrats comme suit :

« Il y a hardship lorsque l'exécution d'une obligation contractuelle devient excessivement onéreuse pour une partie en raison d'un changement imprévisible des circonstances qui bouleverse radicalement l'équilibre du contrat. »

Cette définition reprend les deux critères principaux du hardship : l'imprévisibilité et le bouleversement radical :

§ L'imprévisibilité signifie que le changement des circonstances doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat, c'est-à-dire qu'il ne doit pas être connu ou prévisible par la partie affectée selon les règles de la diligence normale. Par exemple, une modification législative ou réglementaire, une fluctuation monétaire ou une crise économique ne constituent pas des cas de hardship si la partie affectée était informée ou aurait dû être informée de ces risques au moment de la conclusion du contrat ;

§ Le bouleversement radical signifie que le changement des circonstances doit rendre l'exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie, c'est-à-dire qu'il doit entraîner une disproportion manifeste entre les obligations respectives des parties. Par exemple, une augmentation du coût de la main-d'œuvre ou des matières premières ne constitue pas un cas de hardship si elle n'excède pas les limites normales du marché.

Il faut noter que le hardship ne suppose pas l'impossibilité d'exécution du contrat, contrairement à la force majeure. Il s'agit d'une situation dans laquelle l'exécution du contrat est possible mais déséquilibrée. Il faut également noter que le hardship ne concerne que les contrats à exécution différée ou successive, c'est-à-dire ceux qui impliquent des prestations qui s'étalent dans le temps. Il ne concerne pas les contrats à exécution instantanée, c'est-à-dire ceux qui impliquent des prestations qui s'effectuent en une seule fois.

IV- Les effets du hardship sur le contrat

S’agissant des effets du hardship sur l’obligation contractuelle, l'article 7.1.8 de l’avant-projet de l'acte uniforme relatif au droit des contrats prévoit que :

« La partie qui invoque le hardship peut demander à l'autre partie une renégociation du contrat sans pouvoir suspendre son exécution. Si la renégociation échoue ou si elle n'est pas engagée dans un délai raisonnable, les parties peuvent convenir de mettre fin au contrat aux conditions qu'elles déterminent ou demander d'un commun accord à un juge ou à un arbitre d'adapter le contrat en vue de rétablir son équilibre. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge ou l'arbitre peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe. »

Ainsi, le hardship entraîne soit la renégociation, soit la révision, soit la résiliation du contrat, selon les modalités prévues par les parties ou par le juge ou l'arbitre.

§ La renégociation signifie que les parties tentent de modifier le contrat par un avenant pour rétablir son équilibre et tenir compte du changement des circonstances. La partie qui invoque le hardship doit notifier à l'autre partie sa demande de renégociation par tout moyen permettant d'en établir la date et le contenu. Elle doit préciser la nature, la cause et les conséquences prévisibles du changement des circonstances. Elle doit également continuer à exécuter ses obligations contractuelles pendant la durée de la renégociation. La renégociation doit se dérouler de bonne foi et dans un délai raisonnable. Si elle aboutit à un accord entre les parties, celui-ci doit être constaté par écrit et intégré au contrat initial. Si elle échoue ou si elle n'est pas engagée dans un délai raisonnable, les parties peuvent recourir à la révision ou à la résiliation du contrat.

§ La révision signifie que le juge ou l'arbitre modifie le contrat pour rétablir son équilibre et tenir compte du changement des circonstances. Les parties peuvent demander conjointement au juge ou à l'arbitre d'adapter le contrat selon les modalités qu'elles conviennent. A défaut d'accord entre les parties, le juge ou l'arbitre peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat selon les critères qu'il estime appropriés. La révision peut consister en une augmentation ou une diminution du prix, une modification des quantités ou des délais, une répartition différente des risques ou des charges, etc. Elle doit respecter le principe de proportionnalité et ne pas altérer l'objet essentiel du contrat. Elle s'applique à partir de la date de la demande de révision ou de la date fixée par les parties ou par le juge ou l'arbitre.

§ La résiliation signifie que le juge ou l'arbitre met fin au contrat pour tenir compte du changement des circonstances. Les parties peuvent demander conjointement au juge ou à l'arbitre de mettre fin au contrat selon les conditions qu'elles déterminent. A défaut d'accord entre les parties, le juge ou l'arbitre peut, à la demande d'une partie, résilier le contrat à la date et aux conditions qu'il fixe. La résiliation entraîne la cessation des effets du contrat à partir de la date de la demande de résiliation ou de la date fixée par le juge ou l'arbitre. Les parties doivent restituer ce qu'elles ont reçu en exécution du contrat ou, si cela n'est pas possible, payer une indemnité équivalente. Le juge ou l'arbitre peut également accorder des dommages-intérêts à la partie qui subit un préjudice du fait de la résiliation.

V- La comparaison entre la force majeure et le hardship

La force majeure et le hardship sont deux notions distinctes mais qui présentent certaines similitudes et certaines différences.

Les similitudes sont les suivantes :

§ Les deux notions reposent sur le critère de l'imprévisibilité, c'est-à-dire que l'événement ou le changement des circonstances doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat.

§ Les deux notions visent à faire face aux situations exceptionnelles qui affectent l'exécution du contrat et qui ne relèvent pas du risque normal des parties.

§ Les deux notions peuvent entraîner la suspension ou la résolution du contrat, selon qu'elles sont temporaires ou définitives.

Les différences sont les suivantes :

§ La force majeure repose également sur les critères de l'extériorité et de l'irrésistibilité, c'est-à-dire que l'événement doit être indépendant de la volonté du débiteur et rendre impossible l'exécution du contrat. Par contre le hardship repose sur le critère du bouleversement radical, c'est-à-dire que le changement des circonstances doit rendre l'exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie.

§ La force majeure dispense le débiteur de son obligation pendant la durée de l'événement, sans qu'il soit tenu de notifier le créancier ni de renégocier le contrat. Alors que le hardship oblige la partie affectée à notifier l'autre partie et à demander une renégociation du contrat, sans pouvoir suspendre son exécution.

§ La force majeure entraîne la suspension ou la résolution du contrat de plein droit, sans intervention du juge ou de l'arbitre. Le hardship entraîne la renégociation, la révision ou la résiliation du contrat avec l'accord des parties ou sur décision du juge ou de l'arbitre.

VI- La rédaction et l'interprétation des clauses de force majeure et de hardship

Les clauses de force majeure et de hardship sont des clauses contractuelles qui visent à prévoir les conséquences des événements ou des changements des circonstances qui affectent l'exécution du contrat. Elles peuvent être rédigées spontanément par les parties et de leur plein gré ou être imposées par la loi.

Les clauses de force majeure ont pour objet de définir les événements qui constituent des cas de force majeure, d'en préciser les effets sur le contrat et d'en fixer les modalités d'application. Elles peuvent être générales ou spécifiques, selon qu'elles visent tous les événements imprévisibles et irrésistibles ou seulement certains d'entre eux. Elles peuvent également être limitatives ou non limitatives, selon qu'elles excluent ou non certains événements de la notion de force majeure. Par exemple, les parties peuvent prévoir que les manifestations violentes ou les guerres, du fait de leur récurrence dans le pays d’exécution du contrat, ne peuvent constituer une cause de force majeure (cas de certains contrats d’assurance).

Les clauses de hardship ont pour objet de définir les changements des circonstances qui constituent des cas de hardship, d'en préciser les effets sur le contrat et d'en fixer les modalités d'application. Elles peuvent être générales ou spécifiques, selon qu'elles visent tous les changements imprévisibles et radicaux ou seulement certains d'entre eux. Elles peuvent également être limitatives ou non limitatives, selon qu'elles excluent ou non certains changements des circonstances de la notion de hardship.

Nonobstant leurs différences, il demeure constant que les clauses de force majeure et de hardship doivent être rédigées avec clarté et précision, en évitant les termes ambigus ou vagues. Elles doivent également respecter le principe de bonne foi et ne pas être abusives ou déloyales. Elles doivent enfin être conformes aux règles impératives du droit applicable au contrat.

Par ailleurs, l'interprétation des clauses de force majeure et de hardship doit se faire selon les règles générales d'interprétation des contrats. Il faut rechercher la volonté commune des parties et tenir compte du sens ordinaire des mots, du contexte du contrat et de son objet. Il faut également appliquer le principe de l'effet utile, c'est-à-dire donner à la clause un sens qui lui permette de produire ses effets.

Si la clause est ambiguë ou obscure, il faut recourir aux règles subsidiaires d'interprétation des contrats. Il faut favoriser l'interprétation qui rend le contrat valable et efficace, qui est conforme à l'usage et à l'équité et qui est la plus favorable au respect des obligations. Enfin, il faut garder à l’esprit que la jurisprudence a depuis longtemps consacré l’usage de l’interprétation en défaveur du rédacteur de la convention. Les juges, face à l’ambiguïté des clauses contractuelles, retiennent en général l’interprétation qui est la moins favorable à la partie qui a rédigé la clause.

Conclusion

Les clauses de force majeure et de hardship sont des mécanismes juridiques qui permettent de faire face aux situations imprévisibles et exceptionnelles qui peuvent affecter l'exécution d'un contrat. Elles présentent des similitudes et des différences que nous avons distinguées et analysées à la lumière du droit OHADA. Bien que l’avant-projet d’acte uniforme relatif au droit des contrats n’a pas encore été adopté, il est largement inspiré des principes d’UNIDROIT en la matière, lesquels retranscrivent en grandes lignes les pratiques et les usages consacrés et largement admis à travers le monde.

Les parties ont la possibilité de rédiger des clauses de force majeure et de hardship pour adapter le contrat à leurs besoins et à leurs intérêts. Elles doivent toutefois respecter certaines règles pour que ces clauses soient valides et efficaces. Elles doivent également être attentives à l'interprétation qui peut être faite de ces clauses en cas de litige.